Les forêts de châtaigniers : un symbole remarquable de la carte Siegfried

01. Déc.. 2020

En 1914, un symbole novateur est apparue sur la carte Siegfried. L’image de la carte fait maintenant la distinction entre les châtaigneraies et les zones forestières générales. Qu’est-ce qui a pu inciter la topographie nationale à introduire un symbole de la châtaigneraie ?

Un nouveau venu à succès

Pour comprendre pourquoi la châtaigne a reçu son propre symbole, il faut d’abord s’intéresser à son ascension fulgurante. L’espèce était un nouveau venu botanique dans les Alpes méridionales suisses ; ce sont les Romains qui l’y ont importée pour la première fois. Elle dépend d’un climat chaud, aime les sols acides et supporte bien les pentes raides, c’est pourquoi elle a trouvé un habitat approprié sur le versant sud des Alpes. Aujourd’hui encore, 98 % des châtaignes suisses poussent dans cette région du pays. Cependant, les arbres ne dépendent pas seulement du climat, mais aussi de l’être humain : «Sans soins sylvicoles, le châtaignier disparaîtrait progressivement, car il n’est pas capable de concurrencer les espèces naturelles d’arbres », souligne la biologiste Ursula Heiniger.

Grâce à des soins actifs et à des conditions climatiques favorables, la châtaigne est devenue au fil des siècles un important pourvoyeur de vitamines et de calories pour l’être humain et les animaux. Les châtaignes étaient déjà rôties, cuites, utilisées pour faire de la farine et servir à l’engraissement des porcs. Le bois des arbres peut être utilisé pour la construction de maisons et l’aménagement paysager, les feuilles peuvent être données aux chèvres. Les bolets vivent en symbiose avec les châtaigniers et sont donc plus courants dans leur voisinage. Une selve de châtaigniers, c’est-à-dire une forêt uniquement composée de châtaigniers plantés par l’homme, apportait des avantages à de nombreux niveaux.

Un arbre d’importance stratégique

On ne peut pas dire avec certitude pourquoi le Service de topographie national a commencé à inclure les forêts de châtaigniers sur l’image cartographique dans les tirages d’essai en 1910/11 et pourquoi il l’a fait dans les feuilles de la carte Siegfried, publiées à partir de 1914. Il est toutefois fort probable que la combinaison du recul des châtaigniers et de l’importance stratégique croissante des forêts cultivées ait été décisive. Dans les années précédant la Première Guerre mondiale (1914-1918), les besoins en cuir de l’armée suisse ont considérablement augmenté. Compte tenu de la situation politique tendue en Europe, fournir aux troupes du cuir pour les bottes, les selles et les brides a contribué de manière importante à la volonté de défense du pays. Le tannin pour le tannage, était à nouveau essentiel pour la production du cuir : on pouvait l’extraire du bois de châtaignier, ce qui redonnait de l’importance aux selves suisses. Elles ont permis un approvisionnement autonome en agent de tannage, si crucial en temps de guerre.

Pendant la Première Guerre mondiale, l’approvisionnement de la Suisse en tannin provenant de l’étranger s’est complètement effondré, ce qui a nécessité une nouvelle augmentation de la production nationale. Cela s’est fait de manière très active pendant les années de guerre 1914-1918, comme le souligne Marco Conedera de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL). Trois usines à Chiasso, Maroggia et Olten fournissaient la Suisse en tannin pendant cette période, transformant l’équivalent de sept à huit wagons de bois de châtaignier par jour. La plupart des matières premières provenaient du Tessin et du Misox (GR).

Un avenir incertain

Jusque dans les années 1950, le nombre de châtaigneraies était indiqué sur l’image cartographique, lorsque les feuilles de la série de cartes nationales ont remplacé celles de la carte Siegfried au Tessin. Depuis 1983, l’inventaire forestier national suisse documente régulièrement l’état des châtaigneraies. Cependant, le symbole particulier de la carte Siegfried est toujours d’actualité, même si elle ne l’est plus en raison de la production de tannin : les chercheurs du WSL extraient les zones de châtaigniers des cartes de Siegfried et utilisent ces données pour analyser le développement des selves.

L’avenir des châtaigneraies suisses reste incertain. Alors qu’en 1942, il y avait 9500 hectares de selves en Suisse, en 1986, il n’y en avait plus que 1400. Durant cette période, en plus des facteurs décrits ci-dessus, le chancre de l’écorce du châtaignier a également affecté les arbres. Cette évolution a incité le Ciné-Journal suisse à lancer un cri d’alarme, en 1956, pour sauver les châtaignes : « Il ne s’agit pas seulement de la beauté du sud de la Suisse. Il s’agit de leur vie ! »

Les développements récents donnent toutefois lieu à l’optimisme. Bien que l’étendue des selves de châtaigniers dans le dernier inventaire forestier national s’élève encore à 1400 hectares, leur état est maintenant bien meilleur : près d’un quart de cette surface de châtaigneraies encore existantes et partiellement abandonnées a été restaurée depuis les années 1990 et est régulièrement entretenue.

Des connaissances spatiales précieuses

La visualisation des étendues de châtaigniers sur les feuilles de la carte Siegfried entre 1914 et 1950 montre que les séries de cartes sont fortement influencées par les questions et les problèmes de leur époque. Les séries de cartes historiques étaient également étonnamment dynamiques et adaptables à cet égard. Les cartes et les géodonnées continuent ainsi encore de nos jours à créer des connaissances spatiales qui constituent une base importante pour les décideurs politiques, les chercheurs et le grand public.

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